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Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres

French speaking Libre Software Users' Association

Promouvoir les logiciels libres ainsi que l'utilisation de standards ouverts.

Pourquoi je ne piraterai plus MS-Office ?

Ce message s'adresse aux particuliers, aux bénévoles ou aux permanents qui oeuvrent dans des associations, aux dirigeants d'entreprises qui pensent bien arranger leurs affaires en utilisant une version illégale de MS-Office, par habitude ou parce que ça ne vaut pas la peine de changer pour une suite bureautique librement utilisable comme, par exemple, OpenOffice.org.

Un membre de l'AFUL a lancé une discussion sur l'utilisation de MS-Office pour administrer une association, dans des conditions d'utilisation non conformes à la licence du logiciel.

Il est souvent possible de raisonner les fraudeurs, et de les convaincre qu'ils peuvent facilement rentrer dans la légalité en utilisant une suite équivalente et gratuite comme OpenOffice.org. Il existe aussi d'autres solutions, toutes gratuites et compatibles entre elles, telles que Lotus Symphony d'IBM, KWord du projet KDE, et même Google Doc.

Pourquoi conserver MS-Office ?

Mais il reste toujours des irréductibles dont les motivations sont parfois justifiées, parfois complètement obscures, parmi lesquelles :

  • "ce n'est pas grave, de toute façon les associations n'ont jamais été contrôlées ";
  • "tout le monde utilise MS-Office" ;
  • "OpenOffice, connais pas ;
  • "restons sérieux" ;
  • "pas question de réécrire toutes les macros" ;
  • "on a essayé telle version... pas convaincu" ;
  • "bof !"

OpenOffice.org pourrait bouleverser bien des certitudes

"Microsoft détient 95% de parts de marché, alors d'ici à ce que ça change..."

OpenOffice.org affiche un niveau de qualité qui lui permet déjà de prendre de sérieuses parts de marché. Comme cette suite s'améliore version après versions, on est en droit de penser que la spirale est enclenchée, le processus d'adoption va continuer.

Mais le marché de la bureautique est dans une situation très particulière. En effet, Microsoft détient un quasi-monopole au niveau de la planète toute entière. Ça veut dire que si une autre suite devient populaire, c'est forcément au détriment de Microsoft, pas seulement en parts de marché, mais surtout en chiffre d'affaires, puisqu'il n'y a plus d'expansion possible.

Pire, le processus s'inverse ostensiblement sur d'autres fronts:

  • le marché des smartphones, pourtant en pleine croissance, est en train d'échapper à MS-Windows Mobile, au profit de PhoneOS, Android, Symbian et RIM.
  • Linux sur les netbooks a obligé l'éditeur à brader les licences de MS-Windows XP et l'obligera à maintenir un prix plancher, même pour son nouveau système d'exploitation ;
  • le marché des TIC migre massivement vers la vente de matériel, de service et de publicité, en fournissant gratuitement les logiciels, le plus souvent avec leurs sources sous licences libres.

Grâce au vaste mouvement des licences libres, appuyé par presque tous les acteurs des TIC, les logiciels entrent peu à peu dans le patrimoine culturel de l'humanité. Ils deviennent gratuits, tout comme les mathématiques sont devenues gratuites au temps des Grecs. Et tout comme avec les mathématiques, librement accessibles et amendables, de nombreuses nouvelles activités se développent sur les logiciels libres, lucratives et utiles pour tous, dans tous les domaines. La plupart des logiciels propriétaires vendus aujourd'hui ne s'avèrent guère que des rafistolages, rapidement expédiés à l'aide du dernier kit de développement à la mode, d'algorithmes connus depuis des lustres.

L'éditeur de MS-Office doit envisager une riposte musclée ...

"C'est un combat d'arrière garde. Désormais tous les documents bureautiques sont normalisés".

Alors pour maintenir son chiffre d'affaires, et si on exclut un changement d'écosystème qu'il semble en peine à négocier, l'éditeur de MS-Office va devoir :

  • soit, faire payer plus ceux qui paient déjà, ce qui aurait certainement pour effet de lui faire perdre encore des parts de marché ;
  • soit, se donner les moyens de faire payer ceux qui ne paient pas : d'où la BSA et les mécanismes de validation de licence dans XP et Vista, qui obligent, par exemple, l'utilisateur à demander un nouveau code d'activation quand il doit changer de carte-mère.

Pour MS-Office, l'éditeur n'a encore mis en place aucun dispositif anticopie. Quelle aubaine pour les fraudeurs !

Mais l'explication est simple. Les formats bureautiques, aussi standards soient-ils, permettent encore à Microsoft de verrouiller le marché. Le format OOXML qu'il a concocté sans aucune concertation a été validé par l'ISO dans des conditions déplorables alors que les spécifications étaient encore affectées d'un petit millier d'anomalies. Certaines d'entre elles sont corrigées, d'autres le seront plus tard. Ce sera l'occasion pour l'éditeur de faire évoluer le format de ses documents à chaque version de MS-Office en les rendant incompatibles avec les anciennes versions, une pratique bien connue depuis vingt ans, mais cette fois avec le bon prétexte de respecter la norme. Une norme qu'il écrit, bien sûr, au fur et à mesure des améliorations qu'il a promis d'apporter. Et une bonne façon de faire passer plusieurs fois les clients à la caisse.

Enfin, il y a un petit détail dont on parle peu: alors qu'ODF est une norme qui spécifie réellement un contenu, OOXML spécifie un contenant. En effet, cette norme explique comment intégrer dans un document du contenu qui n'est pas lui aussi spécifié par la norme. Donc, en ouvrant un document OOXML avec un logiciel qui implémente entièrement et uniquement OOXML, on n'a pas la garantie d'accéder à tout le contenu. En d'autres termes, OOXML peut fonctionner comme le format DivX: il ne suffit pas de connaître le standard, il faut aussi disposer des codecs qui vont bien, qui peuvent faire l'objet de licences restrictives, ou qui peuvent ne pas être disponibles sur tous les systèmes d'exploitation.

On retombe ainsi dans un cycle bien connu. Dès la sortie de la prochaine version de MS-Office, il faudra tôt ou tard faire l'acquisition d'une copie de cette version, pour pouvoir lire les documents produits dans le nouveau format. Peut-être faudra-t-il aussi changer la version de MS-Windows. Et peut-être aussi l'ordinateur, dont la puissance sera devenue insuffisante.

C'est donc toujours la même stratégie qui paie. Il suffit de favoriser le plus possible la diffusion de la suite MS-Office, quitte à se servir des fraudeurs. Plus il y aura d'utilisateurs, plus il y aura de captifs du format propriétaire, et plus il y aura de clients potentiels. Jusqu'à ce que le piège se referme.

"Raison de plus pour ne pas payer, alors?"

Mais cette stratégie ne fonctionnera que si le format ODF reste marginal. Or il y a déjà quelque 15 % d'utilisateurs d'OpenOffice.org aujourd'hui tout système confondu. Ce chiffre pourrait passer à 20 % en 2010. S'il pouvait monter à 30 % d'ici un ou deux ans, le marché devrait basculer pour des raisons simples :

  • le marché aura besoin d'un seul vrai standard, stable et fonctionnel ; une répartition 30-70 sera forcément intenable si les formats sont incompatibles ;
  • en atteignant 30% de parts de marché, OpenOffice.org ou plus généralement le format ODF aura forcément démontré qu'il peut définitivement détrôner la suite dominante ;
  • 30 % de part de marché, cela représente un retour phénoménal en expérience utilisateur, et donc les conditions idéales pour les développeurs de rendre l'offre encore plus attractive et concurrentielle.

Et si le marché bascule, l'éditeur n'aura plus qu'à se rabattre sur ses utilisateurs captifs, que ceux-ci soient ou non en règle. Les fraudeurs n'auront plus qu'à bien se tenir.

...  et c'est sans doute le moment de changer ...

"Alors là, que ça bascule comme ça, d'un seul coup, je n'y crois pas."

L'informatique, les logiciels, tout ce qui est numérique, reposent sur une technologie complètement dématérialisée, c'est-à-dire sans inertie. On pourrait envisager une certaine viscosité quand un logiciel payant est détrôné par un autre lui aussi payant. Mais cette fois, le combat se fait payant contre gratuit. Pire, Microsoft est aujourd'hui une des seules sociétés dont le modèle repose presque exclusivement sur la vente de licences payantes.

Pour bien comprendre l'impact de cette absence d'inertie, il suffit de penser à quelle vitesse les utilisateurs de MSN ont basculé sur Facebook, ce qui semblait totalement inimaginable seulement quelques mois avant.

Alors pourquoi ne pas faire le grand saut tout de suite . Qu'est-ce que ça va coûter, vraiment ?

... en toute sérénité

"Changer de suite bureautique, ça fait peur, quand même".

Aujourd'hui, avec une liaison ADSL correcte, il suffit de quelques minutes pour télécharger une des versions d'OpenOffice.org, pour MS-Windows 2000 et suivantes, pour MacOSX ou pour Linux. Ensuite, après installation, c'est moins de 0,4 Go sur le disque dur.

Pas de révolution dans l'interface utilisateur d'OpenOffice.org. Une suite bureautique restant une suite bureautique, il n'y a aucune raison de perturber des usages bien ancrés avec de nouveaux paradigmes. La question n'est pas d'innover, mais d'être utile et efficace.

C'est pourquoi une version complète d'OpenOffice.org, avec ses 10 000 000 de lignes de codes, fonctionnera très bien sur des ordinateurs qui étaient candidats pour le rebut ou sur des netbooks bas de gamme.

OpenOffice.org (qu'on abrège souvent en OOo) apporte quelques autres avantages :

  • OOo peut-être redistribué à tous les membres, customisé aux couleurs de l'association, puisqu'OOo est un logiciel libre ;
  • un document OpenOffice.org peut être lu par plus de monde qu'un document MS-Office, puisqu'OOo est librement utilisable par tous ;
  • on exporte n'importe quel document au format PDF, d'un seul clic ;
  • OOo peut sauvegarder au format MediaWiki ;
  • OOo possède un éditeur de dessin vectoriel avec gestion de connecteurs, de couches et quelques effets 3D ;
  • OOo est très avancé dans la gestion des modèles de documents et des styles, ce qui peut faire gagner un temps fou si on veut bien passer un peu de temps à comprendre toutes les subtilités ; 
  • il existe un dépôt de plusieurs centaines d'extensions pour ajouter des fonctionnalités nécessaires pour les uns, mais pas pour les autres, parmi lesquelles:

Il existe également une version nommée OOo4Kids (prononcez “OpenOffice for kids”) en cours de développement. Il s'agit d'une version allégée d'OpenOffice.org plus simple et mieux adaptée aux enfants (de 7 à 12 ans). OOo4Kids est soutenu par l'association EducOO.org.

Pourquoi tout de suite ?

"Bon d'accord, je suis convaincu, je passerai à OpenOffice... quand ce sera plus répandu."

Ce n'est pas forcément une bonne idée.

Quand on sait qu'on va utiliser un logiciel pour une durée limitée, il faut prendre en compte deux sortes de coûts: les coûts d'entrée et les coûts de sortie. Le coût total d'utilisation du logiciel va inclure au moins la somme de ces coûts.

Les coûts d'entrée sont les frais de licences (si on ne fraude pas), la formation, l'éventuelle conversion des .doc en .docx, éventuellement la mise à niveau du matériel et donc du système d'exploitation (ou l'inverse).

Les coûts de sortie sont plus difficiles à identifier à l'avance, mais on peut s'en faire une idée en pensant à tous les freins qui gênent aujourd'hui le passage à OpenOffice.org :

  • changement d'habitudes ;
  • conversion des macros ;
  • conversion de tous les développements spécifiques ;
  • remise en cause de l'infrastructure réseau : espaces collaboratifs, serveurs de messagerie et applications qui ne fonctionnent pleinement qu'avec le logiciel qu'on souhaite abandonner.

Si on se laisse prendre dans la toile, on peut y rester définitivement prisonnier.

Il faut bien comprendre que si MS-Office n'est pas protégé contre les utilisations illégales, c'est parce que Microsoft le veut bien. Microsoft est l'éditeur qui a mis sur le marché les systèmes de protection les plus sûrs, notamment les systèmes de gestion de droits numériques, les fameux DRM, qui permettent de verrouiller les contenus audio et vidéo. Il serait bien naïf de croire que le manque de protection de MS-Office est un simple oubli.

"Si tout le monde est piégé et si les coûts de sorties sont élevés, la théorie de la bascule du marché a du plomb dans l'aile!"

C'est le pari de Microsoft.

On peut penser qu'il existe deux issues gagnantes, le problème étant que l'une est quand même plus gagnante que l'autre:

  • ou bien tout le monde reste sous MS-Office, Microsoft conserve son chiffre d'affaires, et les coûts restent raisonnables;
  • ou bien tout le monde bascule vers OpenOffice.org ou le format ODF, et MS-Office disparaît sous sa forme actuelle.

Si le marché se segmente, les utilisateurs de MS-Office devront fatalement payer très cher, soit pour continuer avec MS-Office, soit pour passer à OpenOffice.org.

Sachant que la conquête du marché par OpenOffice.org a déjà commencé, les paris sont ouverts.

Auteur: Philippe Allart

Illustration: Ben Bois